Messagepar SousNoir » Mar Juil 26, 2016 9:07 pm
Bonsoir ainsivalavie,
Le sujet m'intéresse car j'ai 14 jetons St. George provenant du même lot où j'ai trouvé les jetons de J.R. Ormond. Il y a huit Breton #719 et six Breton #720 que j'ai identifié avec la dernière édition du Charlton "Canadian Colonial Tokens". Après avoir lu votre texte, je suis allé lire ce que W.K. Cross avait écrit sur ces jetons dans le Charlton. Je trouve le texte de W.K. Cross intéressant en ce qui concerne la chronologie de l'émission de ces jetons. Il y a cependant des erreurs factuelles mélangées avec des faits réels qui sont en lien avec la Banque du Haut-Canada. C'est une histoire complexe qui ne peut se résumer aux quelques paragraphes du catalogue Charlton.
La Royal Mint de Londres, depuis la fin du 18e siècle, ne suffisait pas à la demande pour produire les pièces officielles du Royaume-Uni. Dès les années 1780, les marchands de Grande-Bretagne se plaignaient de ne pas avoir assez de monnaie de change pour faire le commerce. La politique monétaire du gouvernement britannique ainsi que la difficulté à obtenir une sanction royale pour émettre des pièces locales ont contribué à la fabrication de jetons illégaux. C'est sans compter les nombreuses pièces contrefaites qui circulaient dans tout le Royaume-Uni et ses colonies. Il faut savoir que la Royal Mint, à cette époque, avait la réputation de produire des pièces de qualité inégale et qui étaient assez facile à reproduire.
La situation était encore pire dans les colonies britanniques qui demandaient continuellement des pièces officielles. Plusieurs jetons été été frappés illégalement pour soutenir le commerce. Dans les colonies britanniques d'Amérique du Nord, il y a eu des jetons qui ont été frappés dans des ateliers britanniques et américains sans pour autant avoir obtenu une sanction royale. Les ateliers de monnaie privés faisaient également beaucoup de lobbying afin d'obtenir un contrat du gouvernement britannique pour frapper des pièces officielles. À défaut d'obtenir une autorisation du gouvernement, les marchands et les conseils exécutifs et législatifs des colonies ont fait frapper des pièces.
Il y a eu deux banques qui ont porté le nom "Bank of Upper Canada". La première a été fondée à Kingston. Les premiers efforts de créer une banque à Kinston datent de 1810 quand les habitants présentèrent une pétition à la législature provinciale. Le projet a été suspendu à cause de la guerre de 1812. Durant la guerre, le commerce se faisaient principalement avec des billets de l'armée. À la fin de la guerre, les billets de l'armée étaient utilisés partout dans les colonies britanniques d'Amérique du Nord. En 1815, il y eut une ordonnance pour retirer les billets de l'armée afin qu'ils soient échangés contre la monnaie officielle. Pour certains membres de l'élite commerciale et politique, formée surtout de riches familles montréalaises, ce fut l'occasion de mettre en place une banque privée pour remplacer les billets de l'armée. En 1817, la "Bank of Montreal" était formée et sa charte fut acceptée par la suite pour émettre des billets basés sur le modèle des billets de l'armée.
Le monopole de la "Bank of Montreal" ne faisait pas l'unanimité dans le Haut-Canada. En 1818, un groupe d'hommes d'affaires de Kingston forma une banque privée pour le bénéfice de l'agriculture et du commerce local. Le gouvernement du Haut-Canada autorisa la formation de la "Bank of Upper Canada" à la condition que celle-ci obtienne une sanction royale dans un délai prescrit. Étant assurés d'obtenir la sanction royale sur la recommandation du gouvernement, la "Bank of Upper Canada" avait déjà débuté les affaires. La sanction royale tardait à venir et le délai était déjà échu quand elle arriva en 1819. La "Bank of Upper Canada" ne fut pas autorisée à poursuivre ses activités malgré la bénédiction du gouvernement britannique. La banque poursuivit cependant ses activités quelques années avec l'appui des commerçants et de la population du Haut-Canada.
Le "Family Compact", un petit cercle fermé d'hommes influents avec une forte puissance politique, économique et judiciaire dans le Haut-Canada, avait gagné la confiance du gouvernement britannique par leurs engagements lors de la guerre 1812-1814. Des membres de la "Family Compact" siégeaient dans le Conseil Exécutif et le Conseil Législatif du Haut-Canada quand la charte de la "Bank of Upper Canada" de Kingston fut acceptée par le gouvernement britannique en 1819. Le gouvernement du Haut-Canada avait son siège à York depuis 1796 et quelques membres du "Family Compact" souhaitaient fonder une banque dans cette ville. Le refus du gouvernement d'autoriser les activités de la "Bank of Upper Canada" de Kingston n'est peut-être pas étranger au fait que plusieurs membres du gouvernement voulaient fonder une banque officielle à York. William Allan, l'un des promoteurs les plus fervents de la nouvelle banque, était un magistrat reconnu et, depuis 1818, un agent de la "Bank of Montreal" à York. William Allan fut le premier président de la nouvelle banque. Henry John Boulton, Solliciteur Général du Haut-Canada depuis 1818, fut celui qui rédigea l'acte d'incorporation de la banque. Des 8 000 actions émises pour la nouvelle banque, 5 381 actions étaient détenues par le gouvernement, ses officiers et ses conseillers législatifs. Le Lieutenant Gouverneur du Haut-Canada nomma personnellement quatre des quinze directeurs de la banque, créant un lien très étroit entre la nouvelle entreprise privée et l'État.
La nouvelle banque fut nommée "Bank of Upper Canada" et elle mit en place rapidement ses activités afin de discréditer la "Bank of Upper Canada" de Kingston. À partir de ce moment, les textes législatifs du Haut-Canada nomme la banque de Kingston la "Pretended Bank" (Banque prétendue) afin de se dissocier de la première Bank of Upper Canada. Le gouvernement britannique autorisa la charte de la nouvelle "Bank of Upper Canada" de York qui fut officiellement constituée le 21 avril 1821 même si ses activités avaient débuté avant. Le sort de la "Bank of Upper Canada" de Kinston était déjà réglé. Une mauvaise gestion, des dirigeants à la limite de la corruption, et une campagne de discrédit provenant du gouvernement, ont dirigé la banque de Kingston vers la faillite en 1822. Curieusement, peut-être pour des considérations légales, les textes officiels indiquent que la "Bank of Upper Canada" de York débuta ses activités en juillet 1822.
La "Bank of Upper Canada" de York avait une charte calquée sur celle de la "Bank of Montreal". Elle avait le droit d'émettre des billets sur le même principe que les billets de l'armée. Elle eut un quasi-monopole dans le Haut-Canada pendant de nombreuses années jusqu'à la création de la "Commercial Bank of the Midland District" à Kingston en 1831. Cette banque était également sous l'emprise du "Family Compact". Ces deux banques contrôlaient l'émission des devises, le crédit, et directement le pouvoir des commerçants et des agriculteurs du Haut-Canada. Ce monopole, et celui de la "Bank of Montreal" dans le Bas-Canada, contribua aux mécontentements qui ont mené aux rébellions de 1837-1839 dans le Bas-Canada et dans le Haut-Canada. Après la crise, la survie de la "Bank of Upper Canada" a été assurée par l'influence des hommes politiques qui étaient aussi ses administrateurs.
Après l'unification législative des provinces du Bas-Canada et du Haut-Canada en 1840, le système parlementaire changea radicalement avec la formation d'un gouvernement commun. L'influence du "Family Compact" n'était plus la même car le siège du parlement de la Province du Canada fut déplacé dans une ville du Canada-Ouest puis dans une autre du Canada-Est, en alternance:
Kingston au Canada-Ouest du 15 juin 1841 à la fin de 1843.
Montréal au Canada-Est du 28 novembre 1844, incendié en avril 1849 (Incendie de l'Hôtel du Parlement à Montréal).
Toronto au Canada-Ouest de 1850 à 1852.
Québec au Canada-Est de 1852 à 1856.
Toronto de 1856 à 1858.
Québec de 1859 à 1866.
Ottawa au Canada-Ouest en 1866.
La mention dans le Charlton de l'incendie de l'Hôtel du Parlement à Montréal en 1849 est exacte ainsi que le déménagement du Parlement à Toronto l'année suivante. Ceci s'inscrivait cependant dans la coutume d'alternance du Parlement qui n'eut aucune influence sur la destinée de la "Bank of Upper Canada". Je me demande d'ailleurs pourquoi Charlton fait cette mention dans son catalogue. La perte de la "Bank of Upper Canada" est surtout due à la fin de son monopole en tant que banque officielle du gouvernement, de la baisse de son influence politique dans la Province du Canada uni, et de la création de nouvelles banques concurrentes. La "Bank of Upper Canada" était devenue une banque mineure quand elle s'est écroulée avec d'autres banques en 1866.
Comme dit précédemment, l'histoire de la "Bank of Upper Canada" est plus complexe que ce modeste résumé. Son histoire est certes liée à la finance et à la politique canadienne/britannique mais la banque a également évolué à travers les gens et les mouvements sociaux de son époque. Il faut lire les textes législatifs de 1839 à 1860 pour connaître l'histoire complète des jetons St. George. J'y reviendrai plus tard quand j'aurai lu ce qu'il y a d'intéressant dans ces milliers de pages.
C'est bien intéressant tout ceci et j'aime lire vos contributions.
Dan
Une pièce non identifiée n'est qu'un morceau de métal. Une pièce identifiée est un morceau d'histoire.
Membre #13 du CMLRN.